Rouen : Morne plaine d’une situation propre

Le 18 août dernier, le cabinet se rendait au Tribunal administratif de Rouen pour plaider 9 dossiers. Parmi ces dossiers, beaucoup apparaissaient très solides et sérieux. Certains enfants étaient atteints de troubles médicaux sérieux, dépositaires de particularismes (hyposensibilité, précocité intellectuelle, parents enseignants et même agrégés, avance d’instruction) ou encore détenteur d’autorisations au titre de l’année 2022-2023 ayant été sanctionnées par un contrôle académique favorable.

Dans ces conditions, et au regard des dossiers affermis en termes de projet éducatif et d’articulation à l’enfant, nous étions confiant quant au succès global de l’audience. Et comment ne pas l’être !

Si l’audience elle-même, menée sur un rythme stendhalien, se déroula sans accroc et nous conserva nos espoirs, ces derniers furent vite balayés par les décisions rendues le mardi suivant.

En tout et pour tout, le juge des référés indiqua : « aucun des moyens n’est de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision« . Il rejetta donc l’erreur de droit, après tout il a le pouvoir d’apprécier différemment des dispositions légales, mais également les erreurs manifestes d’appréciation. Il considère donc que l’existence d’une situation propre n’est pas rapportée puisque les griefs portés par le Rectorat sur les projets éducatifs n’apparaissent pas sérieux, ni matériellement établi lorsqu’ils sont précis.

Ainsi, il retient :

  • qu’une précocité intellectuelle,
  • qu’un TSA,
  • qu’un grand mal-être médicalement constaté du fait de la scolarisation,
  • la détention d’une autorisation antérieure et sanctionnée par un contrôle favorable,
  • la même situation agrémentée d’un défaut d’autorisation de plein droit du fait de l’inertie du Rectorat a envoyer le contrôle 2021/2022 favorable dans des délais compatibles avec le calendrier de la demande d’autorisation,
  • le parcours d’excellence sportive supposant une vie collective dans les infrastructures sportives,
  • les hypo et hypersensibilités,
  • les différents troubles Dys et du comportement,

Ne relèvent pas de la situation propre à un enfant, ni individuellement, ni ensemble. A ce jour, et selon les décisions publiées, certaines situations propres ont été reconnues dans des cas d’espèce mais aucune autorité – qu’elle soit réglementaire, législative ou judiciaire – n’est venue définir les contours de cette définition. Les décisions de rejet se contentant de définir négative et concrètement la situation propre dans chaque dossier. Ainsi, l’on impose une obligation d’exposition aux familles d’une condition dont personne ne peut donner une définition positive.

Ce flou sémantique est d’autant plus préjudiciable que certains tribunaux n’ont pas hésité à utiliser la notion de particularisme pourtant évacuée dans l’évolution du texte lors de son examen. Pour les autres, il se contente de rejeter la situation propre sans dire ce qui pourrait constituer une situation propre. Cela a donné lieu à un été dévastateur sur le plan contentieux puisque seulement 5 ordonnances sont venues censurer un refus d’autorisation. A l’inverse, les ordonnances de rejet et les tris (rejet sans audience) ont, semble-t-il (les ordonnances de tri ne sont pas publiées dans les bases de données) véritablement explosées. A moindre échelle, le cabinet l’a constaté ne serait-ce qu’avec les ordonnances de Rouen et celles de Strasbourg rendues en début de semaine.

La bataille jurisprudentielle a donc repris un virage négatif pour la sauvegarde du droit de l’instruction en famille. Pire encore, certains juges refusent de retenir l’urgence, de telle sorte que bien souvent, les requérants n’ont aucun recours effectif à un juge puisque l’autorisation étant annuelle, dès que l’année scolaire est terminée, le litige est privé d’objet et doit faire l’objet d’un non-lieu à statuer (sauf volonté de juger pour ériger une jurisprudence). Concrètement, dès que l’année scolaire est terminée, le tribunal prononce un non-lieu à statuer qui termine l’instance sans jugement sauf s’il veut tout de même statuer sur un point afin d’éclaircir le débat juridique.

Il faudra donc obtenir de bonnes décisions au fond dans un futur très proche pour espérer inverser la tendance et obtenir un redressement du droit à l’instruction en famille, y compris dans ses modalités de recours.

L’aspect positif des choses est qu’à l’instar de l’an dernier, la presse s’intéresse à cette situation et s’en fait l’écho. L’IEF souffrant bien souvent de préjugés, il est bon que les médias puissent renseigner le public, et les juges, sur ce qu’elle est afin de réorienter l’interprétation devenue majoritaire des magistrats quant à l’interprétations des dispositions de l’article L. 131-5 du code de l’éducation.

Vous pouvez retrouver le reportage de France (env. 3ème min), l’article associé en cliquant sur les mots surlignés ou encore l’article d’Actu.fr.

Publié par La Norville Avocat

Cabinet d'avocat intervenant particulièrement en droit public (droit de l'éducation, droit administratif, police administrative) et en droit privé pour les problématiques liées au logement (AIRBnB,baux, bruit, voisinage).

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