Le cabinet vous propose un point sur les dernières jurisprudences concernant l’instruction en famille, lesquelles évoquent le traitement des demandes d’autorisation, le calendrier et les mises en demeure de scolariser. La période n’étant pas au contentieux de l’instruction en famille, peu de jurisprudences ont été rendues au cours des deux derniers mois.
En synthèse, le juge administratif a eu l’occasion de rappeler que les erreurs matérielles sur les demandes sont de nature à entrainer l’annulation de la décision de rejet lorsqu’elles apparaissent réitérées et de nature à créer un doute sur l’examen sérieux du dossier ou alors lorsqu’elles concernent directement un élément essentiel de la demande.
Le juge administratif a également eu l’occasion de rappeler que le calendrier posé pour les dépôts de demande n’empêchait pas, par principe, une demande hors délais lorsque cette dernière présente un caractère justifié.
Sur un autre terrain, pour la première fois, le juge administratif a retenu qu’une mise en demeure émise avant que le RAPO n’ait été rejeté était illégale et devait être suspendue.
Enfin, concernant les mise en demeure de scolarisation toujours, le Conseil d’Etat a pu retenir qu’il y avait une urgence à statuer quand bien même les requérants n’y aurait pas déféré (inscrit leur enfant à l’école).
Dans le détail :
- Sur les erreurs matérielles
Par deux décisions rendues par le même tribunal, le juge administratif a rappelé à l’administration son obligation d’examen sérieux des dossiers. Cette dernière ne peut se contenter de simples allégations afférentes à des manques du dossier de demandes et lorsque ces dernières s’avèrent infondées, la décision encourt l’annulation :
« Il ressort des pièces du dossier que M A a sollicité le 1er juin 2023 la délivrance pour l’année scolaire 2023-2024 d’une autorisation d’instruction dans la famille en raison de l’existence d’une situation propre à son fils E, né le 13 juin 2012. Elle a exercé le 20 juin 2023 le recours préalable obligatoire à l’encontre du refus de la directrice académique des services de l’éducation nationale de lui accorder cette autorisation. Il résulte des termes de la décision de la commission qu’elle comporte une erreur sur la date de naissance de l’enfant, une erreur sur la date du dépôt de la demande et une erreur sur la date du recours préalable. La décision mentionne également à tort que l’enfant n’est plus soumis à l’instruction obligatoire et que la demande d’instruction dans la famille a été faite au titre de l’itinérance de la famille, alors que l’enfant réside à Boulogne- Billancourt et que cette demande a été faite au titre de l’existence d’une situation propre à l’enfant. Ces erreurs réitérées sur la nature de la demande et sur la personne de l’enfant révèlent un défaut d’examen de la demande d’autorisation de M A. Par suite, cette dernière est fondée à en demander l’annulation.
3. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, qu’il y a lieu d’annuler la décision de la commission de l’académie de Versailles du 18 juillet 2023. » (TA Cergy-Pontoise, 6 février 2024, n° 2311251).
« Pour refuser la demande d’instruction dans la famille des requérants, la commission a considéré que « la partie pédagogique du projet éducatif se contente d’utiliser la plaquette commerciale d’un organisme d’enseignement à distance sans adaptation à la situation de l’enfant ». Il ressort toutefois des pièces du dossier que la demande déposée le 25 avril 2022 auprès du recteur comportait en annexe 10 une pièce intitulée « projet éducatif » de 8 pages qui comportait les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant et correspondait aux rubriques à précitées. Cette pièce était assortie du diplôme de la personne chargée d’instruire l’enfant. La demande d’autorisation d’instruction dans la famille était ainsi conforme aux dispositions précitées. Dès lors les requérants sont fondés à soutenir que la commission a entaché sa décision d’une erreur de fait » (TA Cergy-Pontoise, 6 février 2024, n° 2213603).
- Sur le respect du calendrier
A la suite du tribunal administratif de Caen, le tribunal administratif de Nice a fait droit à notre moyen tiré de l’illégalité d’un refus d’autorisation d’instruction en famille du seul fait que la demande ait été introduite hors du calendrier prévu sans prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant :
« En l’état de l’instruction, le moyen tiré du fait que le rectorat s’est borné à relever l’absence de respect du calendrier posé par l’article R. 131-11 du code de l’éducation sans chercher à étudier le dossier afin de déterminer si ce retard pouvait raisonnablement s’expliquer est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige, le motif invoqué par ailleurs par la rectrice et dont il est demandé la substitution n’apparaissant pas fondé à justifier légalement la décision litigieuse » (TA, Ord., Nice, 1er mars 2024, n° 2400717).
- Sur les contrôles et les mises en demeure
Les Rectorats ont pris l’habitude d’intégrer des mises en demeure dans les rejets de demandes d’instruction en famille ou encore d’émettre des mises en demeure alors même que le RAPO n’a pas été examiné par la commission. Le juge administratif est venu sanctionner cette manière de faire :
« Toutefois, si, en application des dispositions de l’article L. 131-10 du code de l’éducation, un refus réitéré des personnes responsables de l’enfant de scolariser ce dernier sans motif légitime, les expose à être mis en demeure de le faire sous peine d’être pénalement poursuivis dans les conditions prévues à l’article 227-17-1 du code pénal, il ressort des pièces du dossier qu’à la date de la seconde mise en demeure du 24 janvier 2024, les requérants avaient introduit leur recours administratif préalable obligatoire contre la décision du 6 juillet 2023. Le moyen tiré de ce que cette dernière ne pouvait donc légalement être envoyée avant qu’il ait été statué sur ce recours, est de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de cette mise en demeure.
5. À cet égard, les suites pénales susceptibles de résulter du non-respect de la mise en demeure suffisent à caractériser l’urgence qui s’attache, sans préjudice de la possibilité de reprendre une nouvelle décision, à ce que soient suspendus les effets de cette mise en demeure du 24 janvier 2024, jusqu’à ce qu’il ait été statué sur les conclusions tendant à son annulation » (TA Rennes, Ord., 29 février 2024, n° 2400838).
Enfin, le Conseil d’Etat est venu rappeler que le juge qui retient l’absence de scolarisation pour rejeter un référé critiquant une mise en demeure commet une erreur de droit, ce qui vient renforcer la présomption de fait d’urgence dans de telles situations.
« Pour rejeter la demande dont elle était saisie pour défaut d’urgence, la juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a relevé que les requérants, qui invoquaient les risques de traumatismes auxquels une scolarisation ordinaire exposerait leurs enfants, n’alléguaient pas avoir procédé à l’inscription de ces derniers dans un établissement. En se fondant ainsi, pour juger que la condition d’urgence n’était pas remplie, sur la seule circonstance que les requérants n’avaient pas encore déféré aux mises en demeure dont ils demandaient la suspension de l’exécution à l’approche de la rentrée scolaire, alors que ces mises en demeure, qui valent, comme le prévoit l’article L. 131-10 du code de l’éducation jusqu’à la fin de l’année scolaire suivant celle au cours de laquelle elles avaient été notifiées, étaient exécutoires – leur inobservation étant d’ailleurs passible de sanctions pénales -, la juge des référés a commis une erreur de droit.
Par suite, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, M. et M C sont fondés à demander l’annulation de l’ordonnance qu’ils attaquent » (Conseil d’Etat, 6 février 2024, 487634).
