I. La définition du harcèlement moral
Le harcèlement moral est toujours difficile à établir en raison des faits variés qui peuvent le constituer.
C’est la raison pour laquelle une définition générale du harcèlement moral a été posée par la loi et reprise par l’article L. 133-2 du Code général de la fonction publique (CGFP) qui dispose que :
« Aucun agent public ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Ainsi, légalement, le harcèlement suppose d’établir :
- Des agissements répétés,
- Ayant pour objet, ou pour effet, une dégradation des conditions de travail,
- Portant atteinte aux droits, à la santé ou à l’avenir professionnel du fonctionnaire.
Le caractère nécessairement répétitif des faits susceptibles de caractériser l’existence d’un harcèlement moral est toujours exigé par le juge administratif pour reconnaître un harcèlement moral ; un seul fait ne saurait constituer une situation de harcèlement.
En revanche, le harcèlement peut désormais être aussi bien vertical (supérieur ou subordonné) qu’horizontal.
II. L’aspect probatoire du harcèlement moral
La preuve des agissements constituant le harcèlement moral étant par nature difficile à rapporter, le juge administratif a créé un mode probatoire aménagé pour soulager les requérants d’une partie du fardeau de la preuve :
Il appartient, dans un premier temps, à l’agent public « de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement » ;
Il incombe ensuite à l’administration « de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement » ;
Enfin, la conviction du juge sur la matérialité des faits « se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile ».
Concrètement, l’agent doit apporter des éléments laissant présumer un harcèlement (ex : perte de responsabilité, remarques vexatoires) et il revient ensuite à l’administration de justifier ces faits de manière objective ; si le juge considère la justification suffisante, il écartera le harcèlement moral ; dans le cas inverse, il fera droit à la demande de l’agent public.
Bien que ce mode de preuve soit plus souple qu’en droit commun, il n’est pas pour autant facile d’apporter de tels éléments et la charge probatoire reste forte pour le requérant.
Une autre difficulté tient également au fait que l’administration peut justifier des agissements susceptibles de faire présumer l’existence d’un harcèlement moral en avançant des motifs liés à l’intérêt du service. Le harcèlement moral est ainsi exclu lorsque les mesures sont justifiées – sans abus d’autorité – par des difficultés professionnelles ou relationnelles de l’agent.
III. L’indemnisation du harcèlement
Lorsqu’un agent public parvient à réunir les preuves établissement le harcèlement moral il peut obtenir la réparation intégrale de ses préjudices conformément aux règles traditionnelles d’indemnisation. Les seules conditions tiendront au lien de causalité entre le harcèlement et le préjudice allégué et à la réalité du préjudice (pas de préjudice hypothétique).
La responsabilité de l’administration peut alors être engagée à raison de la faute non détachable du service commise par l’agent auteur du harcèlement moral. Ce droit à réparation perdure, même lorsque l’administration a adopté un comportement adéquat pour protéger son agent.
A cette responsabilité objective peut bien sûr se cumuler un droit à réparation au titre de la faute de service commise par l’administration lorsqu’elle a manqué à ses obligations de protection au titre des articles L. 134-1 et suivants du CGFP qui prévoit, notamment, que :
« La collectivité publique est tenue de protéger l’agent public contre les atteintes volontaires à l’intégrité de sa personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu’une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ».
Ainsi, un agent public peut prétendre à une indemnisation complémentaire lorsque l’administration s’est abstenue d’intervenir pour mettre fin aux faits constitutifs du harcèlement moral ou lorsque la réponse apportée n’était pas adéquate. Cependant, en droit français, seuls les préjudices réellement endurés peuvent être réparés ; il n’est donc pas possible de prétendre à une double indemnisation.
Toutefois, l’insuffisance de preuves pour établir le harcèlement moral ne prive pas l’agent concerné de toutes chances d’indemnisation. Tel est notamment le cas lorsque la dégradation de l’état de santé de l’agent est reconnue imputable au service, quand bien même la preuve du harcèlement moral ne serait pas rapportée. Il en va de même lorsqu’une mesure a été prise en considération de la personne, à l’instar d’une mutation d’office recouvrant une sanction déguisée.
Enfin, afin d’alléger le fardeau procédural, les agents publics victimes de harcèlement moral peuvent prétendre au bénéfice de la protection fonctionnelle pour être accompagnés dans leurs démarches d’indemnisation et bénéficier, le cas échéant, de la prise en charge de leurs frais d’avocat par leur administration.
Pour conclure, si un agent public victime de harcèlement moral peut tout à fait prétendre à une indemnisation, il ne saurait que lui être conseillé de s’adjoindre les services d’un professionnel du droit au regard de la complexité et de l’enchevêtrement des différentes règles juridiques applicables.
Antoine Fouret
Avocat au Barreau de Paris