Depuis la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté a créé, en son article 186, l’article L. 131-13 du code de l’éducation disposant du droit égal d’accès de tous les enfants scolarisés en primaire à la cantine de l’école élémentaire. Le Conseil d’Etat, dans un arrêt rendu le 22 mars 2021, a apprécié la portée qu’il convient de donner à ces dispositions.
Cet article dispose que : « L’inscription à la cantine des écoles primaires, lorsque ce service existe, est un droit pour tous les enfants scolarisés. Il ne peut être établi aucune discrimination selon leur situation ou celle de leur famille ».
Cette disposition était sujette à une ambiguïté ; le droit d’accès pour tout enfant scolarisé s’entend t-il de l’obligation pour l’école d’accueillir tout élève scolarisé en son sein qui en fait la demande ou s’entend t-il simplement d’une prohibition de discrimination dans l’attribution des places disponibles ?
Saisi en première instance par la mère d’un élève auquel un refus d’inscription à la cantine scolaire avait été opposé, le tribunal administratif de Besançon avait rendu un jugement faisant partiellement droit à la requête de la requérante et retenait que la décision de la commune, en retenant « l’illégalité de l’article 10 du règlement d’accueil en tant qu’il limite le nombre de places disponibles dans les cantines. Dès lors, en refusant d’inscrire B G au service de restauration scolaire au motif qu’aucune place n’était plus disponible, le maire de Besançon a entaché sa décision d’illégalité » (Besançon, 7 décembre 2017, n° 1701724). Le tribunal retenait donc une approche maximaliste des dispositions de l’article L. 131-13 du code de l’éducation en retenant qu’il imposait un droit effectif de tout enfant scolarisé à être inscrit à la cantine scolaire.
La Cour administrative d’appel de Nancy avait considéré en appel que le jugement du tribunal était bien-fondé en droit et donc, confirmé la position qu’il avait retenu de l’article L. 131-13 précité (CAA Nancy, 5 février 2019, n° 18NC00237).
La Commune, débouté en appel, a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat afin qu’il infirme l’arrêt et qu’il tranche l’approche à retenir des dispositions de l’article L. 131-13 du code de l’éducation.
Par un arrêt rendu le 22 mars dernier, ce dernier a considéré que :
« Par ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi dont elles sont issues, le législateur a entendu rappeler, d’une part, qu’il appartient aux collectivités territoriales ayant fait le choix d’instituer un service public de restauration scolaire de prendre en compte l’intérêt général qui s’attache à ce que tous les élèves puissent bénéficier de ce service public, d’autre part, qu’elles ne peuvent légalement refuser d’y admettre un élève sur le fondement de considérations contraires au principe d’égalité. Pour autant, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que les collectivités territoriales puissent légalement refuser d’y admettre un élève lorsque, à la date de leur décision, la capacité maximale d’accueil de ce service public est atteinte » (CE, 22 mars 2021, Commune de Besançon, n° 429361 : https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2021-03-22/429361).
Ainsi, c’est l’approche minimaliste qui est retenue par le Conseil d’Etat ; les dispositions du code de l’éducation ne font qu’obligation aux collectivités d’agir conformément au principe d’égalité, sans que le manque de place ne constitue une illégalité.
Dès lors, « en jugeant que lorsqu’un service public de restauration scolaire existe dans une école primaire, la collectivité territoriale qui l’organise est tenue d’y inscrire chaque élève de l’école qui en fait la demande, sans que l’absence de place disponible ne puisse lui être opposée, la cour administrative d’appel de Nancy a commis une erreur de droit » (Ibid.).
Il ne peut donc y avoir d’injonction formée pour contraindre la collectivité publique (la mairie), a étendre le nombre de places disponibles afin que chaque enfant puisse bénéficier d’une place au sein du service public de restauration scolaire.
Évidemment, dans le cas où le refus est fondé sur un régime alimentaire ou d’autres considérations personnelles, les dispositions de l’article L. 131-13 du code de l’éducation se trouveraient méconnues dès lors qu’il serait possible d’établir une discrimination à l’encontre de l’enfant concerné.
Si cette position juridique se comprend du fait des contraintes des communes dans la gestion des deniers publics, le rapporteur public du Conseil d’État, avait précisé qu’au-delà de la circonstance que la cantine scolaire soulage le quotidien des parents qui sont effectivement dans l’impossibilité de récupérer leurs enfants lors de la pause méridienne en raison de leurs obligations professionnelles, elle constitue « pour des millions de familles défavorisées, un élément essentiel de leur capacité à subvenir aux besoins alimentaires de leurs enfants, et son absence durant le confinement a été durement ressentie » ( ccl sous Conseil d’Etat, 11 décembre 2020, Commune de Chalon-sur-Saône, n° 426483).
Cette décision prudente tient à l’histoire de cet article. Certains parlementaires y avaient vu une obligation à la charge des municipalités d’organiser un accueil illimité à la cantine des élèves scolarisé dans l’école publique, ce qui représentait évidemment un coût important pour les communes, ou les gestionnaires de l’école lorsque cette compétence est déléguée. Cet enjeu financier a alors conduit les parlementaires à saisir le Conseil constitutionnel de cette disposition. A cette occasion, il a rappelé que le service de la restauration scolaire constitue un service public à caractère purement facultatif, aussi bien pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires (CE, sect., 5 oct. 1984, n° 47875, Commissaire de la République de l’Ariège c/ Commune de Lavelanet, Lebon ; Cons. const., 26 janv. 2017, n° 2016-745 DC, AJDA 2017) ; dès lors, imposer l’accueil illimité des élèves aurait pu conduire les communes à fermer les cantines lorsqu’elles n’ont pas les moyens d’étendre suffisamment ce service public. C’est donc en ayant à l’esprit cette approche concrète que le Conseil d’Etat a tranché cette question.
Antoine Fouret
Avocat au Barreau de Paris