Etat de santé justifiant une instruction en famille : le TA de Limoges nous suit

L’article L. 131-5 du code de l’éducation prévoit 4 hypothèses de situation pouvant donner le droit à une instruction en famille sur autorisation.

Parmi les 4 motifs listés par cet article, la situation médicale de l’enfant est visée au premier rang. Le Conseil d’Etat, confirmant une ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Dijon, avait eu l’occasion de préciser que cet état de santé, pour fonder l’autorisation, n’avait pas à impliquer une impossibilité de scolarisation en retenant qu’il :

« appartient à l’autorité administrative, régulièrement saisie d’une demande en ce sens, d’autoriser l’instruction d’un enfant dans sa famille lorsqu’il est établi que son état de santé rend impossible sa scolarisation dans un établissement d’enseignement public ou privé ou lorsque l’instruction dans sa famille est, en raison de cet état de santé, la plus conforme à son intérêt ».

Par une ordonnance rendue aujourd’hui, quelques heures seulement après l’audience, le tribunal administratif de Limoges nous a offert une application concrète de cette position jurisprudentielle à l’occasion d’un litige que le cabinet avait porté devant lui.

« […] M. Yr et Mme X produisent un certificat établi le 27 octobre 2022 par un médecin généraliste duquel il ressort que D… présente « beaucoup de symptômes qui se rapportent à un début de phobie scolaire », « des maux de ventre surtout en semaine avec des insomnies », de l’eczéma, « des crises de colère à sa sortie de l’école », que sa mère constate « des pleurs le matin avant d’aller à l’école », et que « devant la personnalité hypersensible de D… ainsi que cette phobie scolaire débutante, il serait (…) bon (…) d’envisager une instruction en famille ». Ils fournissent également une attestation du 3 novembre 2022 d’une psychologue spécialisée dans les troubles neuro-atypiques suivant D… depuis mars 2022, dans laquelle il est précisé que l’enfant « souffre d’une fragilité psychique et émotionnelle, une phobie scolaire est déjà présente malgré son jeune âge » et qu’il est « vivement conseillé de faire (…) une instruction en famille ». Dans un certificat établi le 12 décembre 2022, un psychiatre exerçant à Brive-la-Gaillarde a relevé que D… « présente un refus scolaire dans le contexte de séparations modérées et d’un mutisme extra-familial ». Les requérants se prévalent aussi d’un certificat établi par un médecin généraliste le 19 avril 2023, soit un mois environ avant le dépôt de leur demande d’autorisation d’instruction dans la famille au titre de l’année scolaire 2023-2024, duquel il ressort que D… est un enfant hyperactif qui présente « un refus et une phobie scolaire (…) insolubles et angoissants pour les parents », qu’il « adore apprendre à son domicile et fait beaucoup de progrès », qu’il « ne peut s’adapter à l’école publique » et qu’il « doit rester à son domicile jusqu’à la fin de l’année scolaire 2023 ». Si, le 2 juin 2023, le médecin de l’éducation nationale a émis un avis défavorable à l’instruction dans la famille, il est constant que ce médecin s’est borné à relever, sans apporter davantage d’explication quant à la prétendue force probante insuffisante des éléments médicaux fournis par les requérants, que ces éléments « ne permettent pas d’établir la présence d’un état de santé incompatible avec une scolarisation dans un établissement scolaire », sans apprécier dans quelle mesure ces éléments relatifs à l’état de santé de D…, et en particulier sa phobie scolaire qui doit être regardée comme établie à la date de cette ordonnance, auraient effectivement été insuffisants pour démontrer qu’il était de l’intérêt de l’enfant, compte tenu de son état de santé, de bénéficier d’une instruction dans la famille. Par ailleurs, il résulte de l’instruction que, depuis la fin des vacances scolaires de la Toussaint de l’année scolaire 2022-2023, et nonobstant l’absence d’autorisation délivrée en ce sens, c’est la mère de D… qui, de fait, assure son instruction dans la famille, de sorte qu’une scolarisation au demeurant non préparée dans un établissement scolaire à la rentrée de l’année scolaire 2023-2024, laquelle est prévue de manière imminente pour le 4 septembre 2023 soit seulement sept jours après la présente décision, impliquerait, pour l’enfant, même en cas d’aménagements, un changement brutal et probablement négatif des conditions d’instruction qui ont jusqu’alors été mises en œuvre. En outre, pour regrettable que les requérants ne versent pas davantage d’éléments quant à l’amélioration du comportement de leur fils et ses progrès depuis la fin du mois d’octobre 2022, aucun élément du dossier n’est de nature à remettre sérieusement en cause les indications circonstanciées apportées au cours de l’audience, et qui sont corroborées par le certificat médical du 19 avril 2023, selon lesquelles l’instruction donnée dans la famille est adaptée à D… et est de nature à permettre son épanouissement et son développement» (TA Limoges, Ord., 28 août 2023, n° 2301433).

Il est donc reconnu qu’une phobie scolaire est une véritable pathologie justifiant l’instruction en famille, venant ainsi mettre en échec les apophtegmes du Rectorat qui se refuse à reconnaître la réalité de ce trouble.

En outre, le juge précise que la pratique irrégulière de l’instruction en famille, menée dans l’intérêt supérieur de l’enfant, n’est pas de nature à faire obstacle à la reconnaissance du bien-fondé de l’autorisation.

C’est donc une décision instructive et très positive pour des situations où les familles n’osent pas toujours aller sur le motif 1 de peur que l’aspect médical du trouble lié à la phobie scolaire ne soit pas reconnu.

Il ne nous reste qu’à remercie notre consoeur, Me Gieldzyk, qui a su plaider avec vigueur ce dossier pour obtenir cette décision.

Pour lire la décision en entier :

Publié par La Norville Avocat

Cabinet d'avocat intervenant particulièrement en droit public (droit de l'éducation, droit administratif, police administrative) et en droit privé pour les problématiques liées au logement (AIRBnB,baux, bruit, voisinage).

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