Les dernières actualités jurisprudentielles de l’Instruction En Famille (IEF)

Le début d’année marque aussi pour les familles le début de la réflexion et de la rédaction de leur demande d’autorisation d’instruire leurs enfants en famille.

La réforme de l’instruction en famille étant entrée en vigueur à la rentrée 2021/2022, la jurisprudence n’est évidemment pas figée ; pire, elle paraît éclatée.

Afin de pouvoir entamer les préparatifs de la demande, laquelle doit être déposée entre le 1er mars prochain et le 31 mai suivant, le cabinet propose un tour d’horizon des dernières actualités notables entourant l’autorisation mais, plus largement, l’instruction en famille, publiées ces dernières semaines.

Tout d’abord, la jurisprudence a eu l’occasion de rappeler au Rectorat que les règles de désignation des membres des commissions de RAPO et les formalités afférentes sont prescrites à peine de nullité des décisions prises par les commissions.

Le tribunal administratif de Strasbourg a ainsi pu juger que :

« Il ne ressort pas des pièces du dossier que les arrêtés du 8 juin 2022 et du 27 mars 2023 du recteur de l’académie de Nancy-Metz, portant respectivement composition et modification de la composition de la commission académique devant laquelle sont formés les recours administratifs préalables obligatoires exercés contre les décisions de refus d’autorisation d’instruction dans la famille, aient fait l’objet d’une quelconque formalité de publicité. Dans ces conditions, M C est fondée à soutenir que l’arrêté fixant la composition de la commission n’est pas entré en vigueur, et qu’ainsi les décisions contestées, prises par cette commission, sont entachées d’incompétence.

9. Au surplus, il ressort également des pièces du dossier et notamment de la liste d’émargement et du procès-verbal de la réunion de la commission en date du 2 juin 2023, produites par le recteur en défense, qu’une des personnes ayant siégé avec voix délibérative lors de cette commission n’a pas été désignée par les arrêtés des 8 juin 2022 et 27 mars 2023 susmentionnés » (TA Strasbourg, 30 oct. 2023).

Ensuite, sur une demande d’autorisation en motif 1 rejetée par le Rectorat, pour laquelle la requérante avait déjà obtenue gain de cause lors de la procédure de référé-suspension, le tribunal a administratif de Limoges a retenu que la phobie scolaire d’un enfant justifiait une autorisation d’instruction en famille, en sus du diagnostic HPI de l’enfant :

« La décision du 11 juillet 2023, par laquelle commission académique a rejeté le recours administratif préalable obligatoire des requérants indique pour seul motif qu’« une demande d’inscription en IEF avait déjà été faite durant la précédente année scolaire et avait fait l’objet d’un refus, confirmé en commission RAPO. Le dossier présenté n’apporte en l’état pas d’éléments nouveaux. Il pourra au besoin être revu si des éléments médicaux nouveaux apparaissent. », sans prendre suffisamment en compte l’état de santé de A, dont il est toutefois attesté par les pièces produites au dossier qu’il dispose d’un haut potentiel intellectuel (HPI) et qu’il souffre de phobie scolaire, et si l’instruction dans sa famille serait la plus conforme à son intérêt. Dans ces conditions, M. B et M C sont fondés à soutenir que la décision du 11 juillet 2023 souffre d’une erreur d’appréciation au regard de l’état de santé de leur fils » (TA Limoges, 28 nov. 2023).

Toujours concernant les demandes d’autorisation deux décisions sont à mentionner concernant les motifs 3 – lesquelles sont rarissimes – et 4.

Concernant le motif 3, des requérants s’étant vu refuser l’autorisation d’instruire en famille leur enfant du fait de leur éloignement de tout établissement scolaire ont obtenu gain de cause, le tribunal administratif de Grenoble considérant que de trop lourds trajets quotidiens méconnaissaient l’intérêt supérieur de l’enfant :

« M. et M B, qui demeurent à La Chapelle-en-Vercors (Drôme), ont présenté pour l’année scolaire 2022-2023 une demande d’autorisation d’instruction en famille de leur enfant A B, né en 2007, en raison de l’éloignement géographique de tout établissement scolaire public. La commission instituée par application de l’article D. 131-11-10 du code de l’éducation a confirmé le rejet opposé par l’inspecteur d’académie, directeur des services de l’éducation nationale de la Drôme, au motif que les élèves résidant à La Chapelle-en-Vercors peuvent être scolarisés au lycée Albert Triboulet ou au lycée Dauphiné de Romans-sur-Isère et bénéficier d’un hébergement en internat.

3. Il ressort de la fiche des horaires de bus produite en défense que le départ de La Chapelle-en-Vercors est à 6 h 05 et celui de Romans-sur-Isère à 18 h 12, pour une durée de chaque trajet d’environ une heure et demi, ce qui ne permet raisonnablement pas une utilisation quotidienne. Il ressort par ailleurs des pièces produites par les requérants que la scolarisation de leur enfant en internat n’apparaît pas possible en raison de l’importance de ses difficultés d’ordre psychologique et relationnel. Eu égard à ces circonstances, le rejet de la demande d’autorisation d’instruction dans la famille doit être regardé comme entaché d’une erreur d’appréciation. Par suite, les requérants sont fondés à en demander l’annulation » (TA Grenoble, 4ème chambre, 12 septembre 2023).

En creux, le jugement peut faire peur puisqu’il n’écarte pas, par principe, l’idée d’imposer une scolarisation sous forme d’internat dans les hypothèses d’éloignement géographique de tout établissement scolaire – voire d’itinérance par extension- bien qu’en l’espèce il donne raison aux requérants. Toutefois, cet aspect pouvait être écarté d’un revers de main en l’espèce et c’est ce que le juge a fait.

Concernant le motif 4, le tribunal administratif de Versailles, par une série de décisions rendues le même mois, a considéré que la fratrie, dont les contrôles sont favorables et l’instruction éprouvée, fondait une situation propre à l’enfant – bien qu’il faille signaler que de manière incompréhensible, la même formation de jugement a pu rejeter des dossiers remplissant ces conditions. Voici un extrait de deux des jugements concernés, l’un particulier en raison d’une situation médicale additionnelle, l’autre plus générique :

« Les requérants font toutefois valoir qu’un traitement différencié pour leur fille au regard de son frère et sa sœur aînés aurait des conséquences sur son état de santé en se fondant sur un certificat médical produit au dossier, délivré par une psychologue clinicienne indiquant qu’elle a pu « observer les interactions entre les trois enfants qui sont capables de jouer de manière adaptée », que l’instruction en famille des aînés a « favorisé le développement de ses compétences de partage et de coopération » et qu’une scolarisation serait susceptible dans son cas, de « générer des angoisses et des troubles du comportement ». Cet élément médical n’est pas sérieusement ni utilement contesté en défense. S’agissant du projet pédagogique, les requérants indiquent reprendre les méthodes et le contenu de l’instruction dispensée précédemment à la fratrie, qui ont été évalués comme étant satisfaisants et présentent les supports, les objectifs et l’emploi du temps, complétés en cours d’instruction. Dès lors, compte tenu de ce contexte global dont il y a lieu de tenir compte, l’intérêt A à bénéficier de la même forme d’instruction que son frère et sa soeur ainés l’emporte sur les avantages qu’elle pourrait retirer d’une scolarisation dans un établissement d’enseignement. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que c’est à tort que la commission académique s’est fondée sur ce motif pour rejeter leur recours.

9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. et M C sont fondés à demander l’annulation de la décision 30 août 2023 par laquelle la commission académique de l’académie de Versailles a refusé de leur accorder l’autorisation d’assurer l’instruction en famille de leur fille A, au titre de l’année scolaire 2023-2024 » (TA Versailles, 23 novembre 2023).

« Les requérants font toutefois valoir que leur fils a vécu difficilement les conséquences de l’état de santé de sa mère lors de la grossesse et de sa naissance, ce qui a eu des répercussions sur son rythme biologique et physiologique, se caractérisant par un important besoin de sommeil et de temps de repos. Ils ont ainsi proposé un projet éducatif adapté, destiné notamment à garantir une stabilité dans l’environnement de leur enfant ainsi qu’une souplesse d’adaptation, dont la qualité n’est pas sérieusement contestée dès lors que les trois frères et sœurs aînés de X bénéficient déjà de l’instruction en famille et que les contrôles pédagogiques ont été satisfaisants. Dès lors, compte tenu de ce contexte global dont il y a lieu de tenir compte, l’intérêt de ce dernier à bénéficier de la même forme d’instruction que ses trois frères et sœur l’emporte sur les avantages qu’il pourrait retirer d’une scolarisation dans un établissement d’enseignement, alors qu’au demeurant l’enfant, âgé de moins de trois ans à la date de l’acte attaqué, n’entre pas dans l’obligation de scolarisation avant le mois de décembre 2023. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que c’est à tort que la commission académique s’est fondée sur ce motif pour rejeter leur recours » (TA Versailles, 9 novembre 2023).

Dans la seconde décision citée, le tribunal retient que l’obligation scolaire ne commencerait qu’au trois ans de l’enfant et non à la rentrée scolaire de l’année civile où l’enfant atteint l’âge des trois ans ; toutefois, le code de l’éducation étant limpide à cet égard, il convient de considérer que le jugement n’est pas opportun sur ce point.

Pour les familles qui ont l’autorisation d’instruire leurs enfants en famille, il reste la problématique liée aux contrôles de l’instruction en famille.

Tout d’abord, de manière classique, le juge administratif a eu l’occasion de rappeler que les convocations aux contrôles ne sont pas des actes décisoires faisant griefs, ce qui signifie qu’ils ne sont pas attaquables devant le juge administratif, seule la mise en demeure tirant les conséquences d’une absence ou d’un refus de contrôle peut être contestée :

« La convocation attaquée ne constitue pas une décision. Par suite, le recours tendant à la suspension de son exécution est manifestement irrecevable. » (Tribunal administratif de Caen, 2 janvier 2024).

Conformément aux dispositions légales, en cas de refus de convocation à un contrôle, qu’il s’agisse du premier ou du second, la famille doit, sans délai, indiquer le motif rendant, pour elle, le contrôle impossible à cette date et, si le Rectorat considère le motif comme illégitime, ce dernier doit alors rejeter le motif explicitement et indiquer que le contrôle sera maintenu ainsi que les sanctions attachées à une absence au contrôle.

Ensuite, les mises en demeure liés des refus de contrôle sont strictement encadrées, ce qui a été rappelé par deux fois très récemment.

En premier lieu, le tribunal administratif de Rouen a considéré, de manière très classique, que :

« Après avoir effectué le 2 février 2021 un premier contrôle de l’instruction délivrée en famille, dont les résultats se sont avérés insuffisants, l’inspecteur de l’éducation nationale a, par courrier du 4 février suivant, informé M F épouse G et M. G qu’un nouveau contrôle aurait lieu le mardi 6 avril 2021 à leur domicile. Par un courrier de réponse non daté, M F épouse G et M. G ont sollicité un report de la date de ce second contrôle en raison du contexte sanitaire de Covid-19. Par courrier du 30 mars 2021, l’inspecteur de l’éducation nationale a pris acte du motif de refus de ce contrôle en raison du contexte sanitaire et les a informés qu’une prochaine date leur serait communiquée. Par un second courrier du 8 juin 2021, notifié aux intéressés le 11 juin suivant, M. E, inspecteur de l’éducation nationale, constatant qu’un refus avait été opposé pour que le contrôle ait lieu le 6 avril 2021 en lien avec le contexte sanitaire, informait M F épouse G et M. G que le second contrôle pédagogique se déroulerait à leur domicile le 6 septembre 2021, et qu’à l’issue de ce second contrôle, en cas de nouvel avis défavorable, en application des dispositions L. 131-10 du code de l’éducation, ils pourraient être mis en demeure d’inscrire leurs enfants dans un établissement d’enseignement scolaire public ou privé. Par un courrier daté du jour du contrôle et remis en mains propres à l’inspecteur de l’éducation nationale, les intéressés lui demandaient d’annuler le jour même cette convocation faisant valoir que ce contrôle n’avait plus lieu d’être, l’année scolaire s’étant terminée le 6 juillet 2021.

5. Il ressort de la chronologie retracée au point précédent que l’administration avait pris acte dès le 30 mars 2021 du motif de refus opposé par M F épouse G et M. G au contrôle programmé le 6 avril 2021, en raison des conditions sanitaires. Il suit de là que c’est à tort que la directrice académique des services de l’éducation nationale de l’Eure a considéré, après le refus du 6 septembre 2021, que, par deux fois, les parents s’étaient opposés à un contrôle pédagogique sans motif légitime. Ainsi, alors que l’instruction donnée aux enfants n’avait donné lieu qu’à un seul contrôle jugé insuffisant puis à un seul refus de second contrôle sans motif légitime, la directrice académique des services de l’éducation nationale de l’Eure n’a pu légalement mettre en demeure M F épouse G et M. G d’inscrire leurs enfants dans un établissement public ou privé, sans préalablement les soumettre à un nouveau contrôle et les informer qu’en cas de refus, sans motif légitime, de ce second contrôle, une procédure de mise en demeure pourrait être enclenchée.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M F épouse G et M. G sont fondés à demander l’annulation des décisions du 7 octobre 2021 » (TA Rouen, 21 septembre 2023).

En second lieu, le tribunal administratif de Pau a jugé, sur le même aspect tiré de ce que le refus de date de contrôle doit être rejeté explicitement par le Rectorat et préciser les conséquences d’une absence au contrôle, que :

« Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 6 décembre 2021, l’administration de l’éducation nationale a informé M. C et M E qu’elle ne tenait pas pour légitime le motif avancé par les intéressés, le 8 novembre 2021, pour justifier de leur impossibilité de se rendre au contrôle pédagogique initialement prévu le 9 décembre suivant à 10 h 00, et les a convoqués, en conséquence, à un second rendez-vous le 7 janvier 2022 à 13 h 30. Les intéressés ont réitéré leur motif initial pour refuser de déférer à cette seconde convocation, informant l’administration, le 22 décembre 2021, qu’ils ne pourraient pour des raisons professionnelles se rendre à ce contrôle pédagogique et transmettant, à cet effet, des pièces justificatives. En réponse, l’administration les a mis en demeure, par courrier du 10 janvier 2022, d’inscrire leur enfant dans un établissement d’enseignement scolaire public ou privé dans un délai de quinze jours à compter de la réception de ce courrier en se fondant sur leurs deux refus, sans motif légitime, au contrôle de leur enfant. Or, il est constant que M. C et M E n’ont pas été informés par l’administration de son refus de reconnaissance du caractère légitime de ce motif, et du maintien en conséquence du second contrôle, en méconnaissance de la procédure prévue à l’article R. 131-16-2 du code de l’éducation précité. Ce vice de procédure doit être regardé comme ayant été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision et comme ayant privé les intéressés d’une garantie. Il s’ensuit que M. C est fondé à se prévaloir d’un vice de procédure entachant d’illégalité la mise en demeure contestée du 10 janvier 2022, ensemble le rejet de son recours gracieux » (TA de Pau, septembre 2023).

Pour terminer, une question qui intéresse de nombreuses familles puisqu’elle concerne la fameuse possibilité de priver les familles n’ayant pas scolarisé leurs enfants des allocations familiales. Depuis la mise en œuvre de la réforme de l’instruction en famille, la loi conditionne le versement de ces prestations à la production d’un certificat d’inscription dans un établissement public ou privé ou à la production d’une autorisation d’instruction en famille.

Cependant, la CAF, dès lors qu’une famille produit un certificat d’inscription, n’a pas le droit de refuser le versement des sommes, ou de demander leur répétition, et ce quelque soit le motif. Ainsi, le tribunal administratif de Paris a censuré la CAF qui excipait de l’absence de déclaration de l’établissement d’accueil auprès du Rectorat pour refuser les droits d’une famille :

« Pour réclamer le remboursement de l’indu litigieux, la CAF de Paris se prévaut de ce que l’Istituto Italiano Statale Leonardo da Vinci n’a pas fait l’objet d’une ouverture légale au sens de l’article L. 441-1 du code de l’éducation. Toutefois, il ne résulte pas des dispositions précitées, qui subordonnent l’octroi de prestations familiales à la scolarisation de l’enfant à charge dans un établissement scolaire public ou privé, que cet établissement doive satisfaire aux conditions d’ouverture légale prévues par l’article L. 441-1 du code de l’éducation. Par suite, en opposant cette condition à M B, et dès lors qu’il est constant que l’Istituto Italiano Statale Leonardo da Vinci est un établissement d’enseignement scolaire privé sous la tutelle du gouvernement italien, la CAF de Paris a commis une erreur de droit en notifiant l’indu litigieux » (TA Paris, 12 décembre 2023).

Publié par La Norville Avocat

Cabinet d'avocat intervenant particulièrement en droit public (droit de l'éducation, droit administratif, police administrative) et en droit privé pour les problématiques liées au logement (AIRBnB,baux, bruit, voisinage).

3 commentaires sur « Les dernières actualités jurisprudentielles de l’Instruction En Famille (IEF) »

  1. Merci pour ce point d’informations. Merci pour tout ce que La Norville Avocats fait pour la défense de l’instruction en famille ainsi que pour les familles et les enfants concernés. Merci parce que vous prenez le temps d’informer régulièrement sur tout ce qui concerne les autorisations ou non d’IEF. S’il vous plaît, continuez. Bonne et Heureuse année 2024 à toute votre équipe.

    J’aime

Laisser un commentaire