Ce jour, la Cour Administrative d’Appel de Nantes examinait les appels interjetés par le Ministère de l’Education Nationale contre les jugements rendus le 10 octobre par le tribunal administratif de Rennes qui avait donné raison aux requérants que nous représentions concernant les autorisations d’instruction en famille fondées sur le 4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation.
Pour mémoire, il avait considéré que toute famille formulant une demande au titre du 4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation fondée sur un projet éducatif sérieux et une capacité à instruire devait obtenir l’autorisation.
Le rapporteur public, chargé d’éclairer la juridiction sur les débats, a estimé que la demande devait étayer la situation propre et que le tribunal administratif avait eu tort de censurer le Recteur pour erreur de droit en retenant qu’il n’était pas nécessaire d’étayer une situation propre à l’enfant.
Cependant, il a indiqué que le contrôle à opérer par le juge est à étendre ; il a reproché aux premiers juges d’avoir réduit leur contrôle à l’erreur manifeste d’appréciation alors qu’il convient d’opter pour un contrôle normal de l’appréciation de la situation propre à l’enfant en raison de l’absence de pouvoir discrétionnaire conféré par la loi au Recteur sur l’appréciation des demandes portées devant lui.
Il a ensuite précisé ce contrôle en définissant la marge d’appréciation laissée aux services académiques sur l’appréciation de la situation propre et de l’adaptation du projet éducatif aux rythmes et situation de l’enfant.
Selon lui, trois options sont possibles.
La première est celle de la lecture restrictive des nouvelles dispositions. Il relève que si cela est la position du Rectorat et du Ministère, l’administration ne précise à aucun moment ce qu’elle entend par la notion de « situation propre » puisqu’elle se contente de toujours répondre par la négative. Néanmoins, il ressort, de manière sibylline, de l’ensemble des décisions concernées que le Recteur cherche à limiter ce critère à des cas très particulier. D’ailleurs le rapporteur public relève que le Ministère cite dans ses écritures des extraits des travaux parlementaires faisant référence à des cas de phobie scolaire, de trouble de l’attention, d’hyperactivité etc… Il relève que cette option restrictive a été privilégiée par de nombreux tribunaux depuis la décision du Conseil d’Etat.
A l’opposé de cette « approche très restrictive », il y a l’approche souple, consistant à poser le principe selon lequel dès lors que les parents ont fait l’effort d’exposer les besoins spécifiques de leur enfant et d’adapter le projet pédagogique, cela suffit à ouvrir droit à l’instruction en famille. Dans cette approche, la situation proche de l’enfant peut être de toute nature dès lors que les parents établissent un projet sur mesure.
Enfin, une approche intermédiaire est possible mais elle présente l’inconvénient d’être holistique et peu lisible, incompatible avec la sécurité juridique.
De ces trois options, seules les options restrictives et libérales sont donc envisageables ; pour sa part, le rapport public retient l’approche libérale (ou souple) de la notion de situation propre pour trois raisons.
La première tient à ce que, en cas d’approche restrictive, les autorisations pour motif 4 risquent d’être très limitées et à des cas spécifiques (enfant souffrant de phobie scolaire, d’hyperactivité etc…) et une telle vision des choses reviendrait à revenir au premier motif, c’est-à-dire à fonder l’autorisation sur la situation médicale de l’enfant.
La deuxième raison est d’ordre juridique, il s’infère de la décision du Conseil Constitutionnel et des conclusions du rapporteur public sous la décision du Conseil d’Etat que la réserve d’interprétation ne doit pas être considérée comme ayant abolie le critère de la « situation propre de l’enfant motivant le projet éducatif » mais à l’inverse, que la réserve d’interprétation montre que la juridiction constitutionnelle a entendu mieux définir cette notion de situation propre en prévoyant qu’elle fasse référence à un projet éducatif adapté aux capacités et rythme de l’enfant. Le Conseil propose donc une interprétation extensible de cette notion de situation propre. De la même façon, le rapporteur public du Conseil d’Etat a considéré que le Législateur n’avait pas conféré à l’administration le pouvoir de se substituer aux parents dans l’appréciation de la situation propre et que l’administration exerce un contrôle tenant au sérieux et à l’adaptation du projet, ce qui suppose que les parents définissent la situation de leur enfant, pour y répondre.
La troisième raison tient aux propos du Ministre de l’Education en poste au moment du processus d’adaptation de la loi, M. Blanquer, tenus devant le Sénat où il déclarait qu’il ne mettait pas en procès l’instruction en famille et qu’il ne fallait pas mélanger l’instruction en famille et son dévoiement, assez rare. En outre, il retient que le Ministre déclarait n’avoir jamais eu l’intention de supprimer la liberté d’instruire en famille.
Ainsi, le rapporteur public soutient que la possibilité de la scolarisation est sans incidence sur la délivrance d’une autorisation. En résume il propose aux juges d’exercer un contrôle normal sur l’adaptation du projet et une approche libérale concernant l’exposé de la situation propre (qui n’a qu’à être exposée, sans être contrôlée).
Nous avons donc été satisfaits de ces conclusions qui nous paraissent équilibrées et respectueuses du droit des familles et des droits de l’enfant. Nous avons naturellement abondé dans le sens du rapporteur public.
Le délibéré est annoncé pour le 9 juin; il reste à espérer que les juges suivront le raisonnement du rapporteur public, reprenant notre argumentation sur l’appréciation à avoir des nouvelles dispositions du 4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation.
Enfin, il nous reste à remercie Me Cantarovich qui a collaboré avec le cabinet qu’il représentait lors de cette audience décisive pour son précieux concours.