Plusieurs juridictions ont pris position, au fond, pour l’applicabilité du critère tiré de la situation propre à l’enfant comme motif fondant une autorisation d’instruction en famille, sans cependant prendre la peine de définir ce que recouvrirait une telle situation. En outre, les tribunaux se sont montré peu prolixe quant aux motifs des rejets.
Bien que la bataille concernant l’applicabilité de ce critère ne soit pas terminée, il apparaît nécessaire de faire un point sur cette notion.
Par une ordonnance du 30 septembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a reconnu une situation propre à un enfant. Cette décision est devenue définitive, le recours au fond étant désormais terminé.
Au regard de la rareté des décisions ayant reconnu une situation propre à l’enfant, le cabinet entend revenir sur cette décision afin de pouvoir tenter de dessiner les contours de la définition de la situation propre à l’enfant prévue au 4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation.
Il conviendra également d’évoquer une ordonnance du tribunal administratif de Toulouse du 3 août 2022 qui, de manière plus sibylline, avait également retenu une situation propre à un enfant.
Sur le fondement de ces deux décisions obtenues par le cabinet, nous proposons une tentative de définition d’un critère aussi insaisissable qu’erratique.
Précisons d’emblée que sur un plan philosophique et politique, ce critère n’a aucun sens en démocratie. Les démocraties modernes – sociétés ouvertes – se sont construites en opposition aux sociétés fermées – sociétés totalitaires – sur un principe fondamental : dans une société totalitaire, l’individu n’existe pas ; dans une société ouverte, l’individu est sacralisé (v. K. Popper, Les Etats Toutalitaires ; Balzac, La Balade d’un moineau de Paris).
Dès lors, exiger de démontrer la situation propre d’un individu dans une société ouverte est un non-sens puisque chaque individu est dans une situation propre, constituée de son histoire, de son contexte, de ses origines etc… Tout enfant a une situation propre, ce qui, au-demeurant, fût reconnu par les parlementaires lors de leurs travaux.
Ensuite, sur le plan juridique, ce critère n’a pas beaucoup plus de sens.
D’une part, ni le législateur, ni le pouvoir règlementaire, ne se sont donné la peine de définir ce que recouvrait la notion de situation propre. Le législateur, à l’instar du juge constitutionnel, l’ont utilisé comme le titre de la demande et jamais comme un critère. Les travaux parlementaires parlent d’ailleurs de la situation propre comme d’un critère rempli ab initio.
Cependant, la Haute Juridiction administrative a considéré qu’il s’agissait d’un critère effectif, ce qui implique, par hypothèse, que certains enfants seraient dans une situation commune puisqu’ils ne se trouve pas dans une situation propre (v. décision du Conseil d’Etat). Il ne s’agit cependant que d’une décision de référé et le débat n’a pas été tranché au fond par le Conseil d’Etat.
Quelques juridictions de première instance ont rendu des décisions plutôt divergentes même si la majorité de ces décisions a incliné à retenir la notion de « situation propre » comme un critère effectif sans, là encore, définir la situation dans laquelle ne rentrerait pas les enfants concernés.
Nous ne pouvons donc tenter une définition de la « situation propre » que positive, collant à l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Melun.
Afin de délivrer l’autorisation sollicitée, il a retenu que :
« 10. Il résulte de l’instruction, et notamment des pièces médicales produites par la requérante, que le jeune V. a été hospitalisé alors qu’il n’avait que 9 jours pour une infection rénale foudroyante qui s’est transmise au sang ; comme il ne sait pas encore « faire au pot », il se retient d’uriner quand il n’est pas chez lui ce qui constitue un facteur non négligeable de rechute de sa septicémie. De plus, il ressort également des certificats médicaux que V. est, du fait notamment du traumatisme vécu dans sa tout jeune enfance, un enfant craintif, fragile psychologiquement et hypersensible aux bruits, qui n’arrive pas à se concentrer dans un environnement bruyant. Il ne pourra donc vraisemblablement pas progresser dans une classe de petite section entouré d’enfants nécessairement bruyants. En outre, c’est un enfant bilingue qui parle le français et le russe à la maison, langue qu’il ne pourra pas continuer d’apprendre en petite section. C’est également un enfant qui a manifesté des signes de précocité évidents puisqu’il arrive à dénombrer jusqu’à 15 objets quand on n’en demande que 4 en petite section ; c’est aussi un enfant curieux de tout, allant jusqu’à vouloir parler anglais lors d’un voyage organisé à Londres par sa mère l’année dernière. Or, le projet pédagogique élaboré par celle-ci, qui a un niveau d’études bac + 9, est titulaire d’un doctorat en mathématiques et reste le plus clair de son temps chez elle à s’occuper de son fils, est parfaitement adapté à la situation du jeune V. puisqu’il est notamment basé sur l’apprentissage du russe, l’initiation à l’anglais, les sorties d’éveil aux musées, en plus des apprentissages requis en petite section. C’est enfin un projet qui tient compte de la situation médico-psychologique de l’enfant décrite ci-dessus.
Il résulte de ce qui précède qu’en considérant que le projet éducatif élaboré par Mme X. ne faisait pas ressortir la situation propre à son fils V., au sens du 4° de l’article L. 131-5 du code de l’Education, le rectorat a entaché sa décision d’erreur de droit ».
Il ressort donc de cette décision que plusieurs facteurs sont retenus par le juge :
- L’état de santé précaire de l’enfant,
- Son absence de maîtrise urinaire fragilisant son état de santé,
- Une hypersensibilité au bruit nuisant à l’apprentissage,
- Enfant bilingue,
- Précocité,
- Adaptation du projet éducatif à l’enfant.
Naturellement, le cas d’espèce, cumule beaucoup d’éléments de nature à constituer une situation propre. On peut raisonnablement postuler que la seule sensibilité aurait permis de constituer une telle situation propre, de telle sorte que ces éléments ne doivent pas être appréhendés comme étant nécessairement cumulatifs.
Notons que le préalable fondamental est ici l’adaptation du projet éducatif ; il ne doit en aucun cas être stéréotypé et il doit présenter une éducation sur-mesure de l’enfant en lien et articuler avec la situation propre mise en avant.
Toutefois, si ce critère est fondamental, il n’est pas suffisant puisqu’il n’est que la réponse à la situation propre de l’enfant.
La situation propre peut résulter d’un handicap, d’un état de santé précaire, d’un bilinguisme, d’une précocité si l’on s’en tient aux éléments relevés par l’espèce.
Il est certain que d’autres hypothèses sont susceptibles d’être accueillies par le juge mais elles n’étaient pas plaidées dans l’ordonnance servant de fondement à cet article. On peut citer en exemple une itinérance internationale, un déménagement à venir, toute particularité de l’enfant. Les exemples ne sont pas limitatifs puisqu’aucune définition n’existe, tout peut s’imaginer dès lors que cela particularise l’enfant.
Notons qu’un nombre non négligeable de décisions, rendues en référé et au fond, ont écarté le fait que le manque de propreté, l’inadaptation du rythme scolaire au cycle de sommeil de l’enfant, une fratrie déjà instruite en famille et l’emploi d’une pédagogie alternative puissent constituer une situation propre à l’enfant. Sur ce dernier point, notons que l’ordonnance rendue le 3 août 2022 par le tribunal administratif de Toulouse avait reconnu, indirectement, la situation propre de l’enfant en retenant, notamment, que sa fratrie était instruite en famille.
Enfin, au regard des dernières décisions rendues par les juridictions dans les affaires au fond, il semble nécessaire de démontrer que l’instruction en famille serait plus propice à l’instruction de l’enfant que la scolarisation (ce qui n’a pas empêché des refus d’autorisation à deux parents enseignants en disponibilité pour élever leur enfant). Une balance des intérêts et des opportunités semblent donc se dessiner pour définir la situation propre à l’enfant qui serait alors une sorte de « situation justifiant que l’enfant reçoive une instruction en famille plutôt qu’à l’école ».